Suite à la polémique suscitée par les propos de Stéphane Richard, le PDG de l’opérateur téléphonique français Orange, le spectre du boycott d’Israël a hanté, ces derniers jours, la société civile et la classe politique israélienne. Mais, en quoi consiste réellement cette pratique, composée de plusieurs variantes, et utilisée à des fins diverses par plusieurs organisations différentes? Israpresse s’est entretenu avec le directeur d’un vignoble situé dans l’implantation juive de Psagot, dans le nord de Jérusalem, pour comprendre comment réagissent concrètement les premières victimes potentielles de ces campagnes de boycott.
Appel au boycott total d’Israël ou signalement des produits des implantations?
Le vignoble de Psagot a produit cette année près de 250 000 bouteilles, dont « 65% d’entre elles destinées à l’exportation, principalement vers les Etats-Unis », assure Yaacov Berg, le directeur de ce vignoble. Il faut dire que ces vins collectionnent les médailles de concours internationaux. « La meilleure façon de lutter contre le mouvement BDS est de lui montrer que grâce à lui, nous vendons plus de bouteilles de vin », affirme sans concession Yaacov Berg. Assurément, le mouvement BDS ne lui fait pas peur.
Le point commun entre l’Union européenne, l’organisation transnationale BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) et le parti de gauche Meretz, se résume en quelques mots: infléchir la politique territoriale du gouvernement israélien. Mais, les moyens employés et les buts recherchés divergent fondamentalement.
Les actions prônées et accomplies par BDS, un mouvement international déclenché par des organisations non gouvernementales palestiniennes en 2005, sont radicales, puisque celui-ci appelle explicitement, dans son site internet, à « boycotter tous les produits israéliens », mais aussi, à « pratiquer un boycott sportif, culturel et universitaire ». L’UE et le parti Meretz, dont les positions sont assez semblables, réclament le signalement des produits provenant des territoires conquis par Israël, durant la guerre des Six jours, à l’aide d’un procédé d’étiquetage. Il s’agit, en substance, de l’intention qui ressort de l’appel lancé, le 13 avril 2015, par 16 ministres des Affaires étrangères de pays de l’UE. Dans le même esprit, la proposition de loi formulée le 4 mai 2015 par le parti de Zehava Galon, visant à réviser la loi dite de « protection du consommateur », a pour but d’améliorer la traçabilité des produits en indiquant notamment, le lieu de production. Ainsi, dans le descriptif de cette proposition, il est clairement mentionné que cette loi doit permettre au consommateur de savoir si le produit provient « d’un territoire sous juridiction israélienne ou d’un territoire sous son occupation ».
Les employés palestiniens, premières victimes?
« Ce ne sont pas des menaces nouvelles » affirme pour IsraPresse Miri Maoz-Ovadia, la porte-parole du conseil régional de Binyamin. « Nous avons beaucoup d’amis en Europe », tient-elle à rappeler. Le conseil régional de Binyamin, au nord de Jérusalem, prévoit donc de contacter « les organisations avec lesquelles il travaille déjà » et qui sont prêtes « à aider Israël et les habitants des localités juives », comme lors de la campagne de boycott apparu récemment au Danemark. Des panneaux publicitaires, placardés sur les autobus, invitaient les Danois à boycotter les produits des implantations, et grâce à l’action d’organisations pro-israéliennes, ceux-ci ont dû être retirés.
« Il s’agit d’une minorité qui utilise un moyen qui n’est pas légitime et qui empêche le dialogue », soutient la porte-parole, au sujet des Israéliens qui appellent à ne pas acheter les produits des implantations. « Les industries provoquent la prospérité de la région et permettent à une population juive et arabe de travailler […] afin de subvenir aux besoins de leur famille », ajoute-t-elle.
Encourager la paix ou stigmatiser Israël?
« Notre véritable problème, ce sont les Israéliens », avoue le directeur du vignoble de Psagot, en référence à ces concitoyens qui prônent le boycott des produits des implantations. « Ils ne comprennent pas que le mouvement BDS ne fera pas de différences entre les produits des implantations et les autres produits israéliens », affirme-t-il.
Les buts à atteindre pour ces diverses structures, grâce à une campagne de boycott, sont plus difficiles à cerner. Il est intéressant de noter que de prime abord, il est possible d’identifier un discours assez semblable. Pour le mouvement BDS France, il faut mettre un terme au « plus long conflit de l’histoire récente » et pour les ministres des Affaires étrangères signataires de l’appel du 13 avril 2015, il faut critiquer « l’expansion continue des colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés » car ce phénomène « menace la perspective d’un accord de paix juste et définitif ». Zehava Galon avait affirmé lors d’un entretien publié le 10 juillet 2011 par la deuxième chaîne de télévision israélienne, qu' »elle n’achète pas de produits provenant des implantations » et qu’elle juge important que le public israélien puisse boycotter les produits de ces territoires, qui « constituent l’obstacle majeur vers la voie de la paix ».
Dans les faits, on peut douter des intentions réelles du mouvement BDS. Le juriste américain Alan Dershowitz, qui se présente comme partisan de la création d’un Etat palestinien, soutient que « le but des membres du BDS n’est pas de de promouvoir la paix, mais d’exterminer Israël », dans une vidéo postée en réaction au boycott universitaire anti-israélien. L’institut NGO Monitor, qui sert de « chien de garde » des organisations non-gouvernementales et enquête sur leur financement et leurs activités, affirme sur son site internet qu' »il ressort clairement des nombreuses déclarations des idéologues du mouvement BDS, […] que le but du BDS est la destruction de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif, en utilisant la rhétorique de défense des droits de l’homme ». Pour étayer ses accusations, il cite notamment les propos d’Omar Barghouti, un des fondateurs du mouvement Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (PACBI), qui a soutenu publiquement le mouvement BDS, dans un article publié le 25 février 2013 dans le Daily News. Selon NGO Monitor, il aurait appelé en décembre 2003, à la création d’un « État unitaire où les Juifs, par définition, vivront en tant que minorité » et ajouté en octobre 2012 que « la seule solution éthique est un État démocratique, laïque et civil dans la Palestine historique ».
Une vraie menace économique
L’Union européenne, qui est le premier client d’Israël, est en mesure de fragiliser l’économie israélienne si elle venait à pratiquer une politique discriminante envers ses produits. Il apparaît que le motif principal, derrière l’étiquetage des produits provenant des importations, est la volonté de la diplomatie européenne de soumettre Israël aux recommandations de la Cour internationale de Justice. Celle-ci, dans son avis consultatif, publié en 2004 sur « l‘édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé« , juge illégales les implantations israéliennes et invite de fait, la communauté internationale, à ne pas reconnaître cette situation, ni à y porter assistance. Ainsi, par une mesure d’étiquetage des produits provenant des importations, l’UE peut globalement continuer à commercer avec Israël, pour satisfaire ses intérêts économiques, tout en se soumettant aux recommandations de la Cour de la Haye. Recommandations qui, il faut le rappeler, n’ont pas force de loi.
« Lorsque je disais que la meilleure façon de lutter contre le mouvement BDS est de leur montrer que nous vendons plus de bouteilles grâce à leurs campagnes de boycott, cela supposait une condition préalable: que tout le peuple d’Israël se sente dans le même bateau », affirme M. Berg.
Netanyahou, « au service du boycott »
Le Parti Meretz ne semble pas avoir choisi l’option « tous unis contre le boycott ». Mme Galon, avait d’ailleurs réagi à la Knesset le 3 juin 2015, aux accusations d’antisémitisme proférées par les ministres Ofir Akounis et Ayelet Shaked, à l’égard des personnes désirant boycotter Israël, en imputant leur décision, a la politique de M. Netanyahou. « Celui qui est au service du boycott, c’est le gouvernement de Netanyahou », avait-elle soutenu ce jour-là, selon le site d’informations Ynet. Au-delà des impératifs éthiques qui peuvent façonner les opinions de Zehava Galon et des députés du parti Meretz, ces personnalités n’en demeurent pas moins des opposants au gouvernement actuel. Ainsi, la menace que représente une campagne de boycott généralisée contre Israël constitue également un argument contre la politique menée par Binyamin Netanyahou.
Nadav Rebibo